La mode responsable : prochaine tendance ou utopie ?

La mode responsable n’a rien de nouveau. Les Trente Glorieuses ont été l’avènement de la société de consommation, qui bat son plein à l’heure actuelle. Pourtant, déjà dans les années 70, les hippies dénonçaient ce mode de vie et préconisaient un rapprochement avec la nature et une consommation plus responsable. Aujourd’hui on ne parle plus de hippie mais de hipster,  et être « green », c’est être « in » (en prouve le nombre de youtubers expliquant leur transition vers un mode de vie « vegan »). Beaucoup pourrait y voir là une certaine ironie… Pantalons taille haute, franges, perfectos en cuir et robes longues : ces dernières années, le festival Woodstock s’est invité dans notre garde-robe.

 

Dans un monde où le progrès est constant, pourquoi faire marche-arrière ?

Aujourd’hui, il ne suffit que de deux semaines pour que les tendances repérées au cours des défilés haute couture sortent dans les magasins grand public : ce qu’on appelle plus communément la « fast fashion ». Toujours plus vite, toujours moins cher : l’industrie de la mode met nos ressources naturelles à rude épreuve, mais pas seulement. Tant sur le plan social que sur le plan environnemental, nous sommes loin des objectifs fixés par les Nations Unies pour le développement durable.

Au Bangladesh, en avril 2013, « l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza faisait plus de 1100 victimes et attirait l’attention du monde entier sur les conditions de sécurité et de travail des ouvriers textiles dans ce pays, où se fournissent massivement les grandes marques occidentales » (Copyright : multinationales.org). Comme en témoigne les chiffres ci-contre, à long terme comme à court terme, ce mode de fonctionnement n’est pas viable.

Fashion's trajectory on key resources further deteriorating

 

Mais alors la mode responsable, qu’est-ce donc ?

Il s’agit d’un engagement, à la fois du producteur comme du consommateur. Pour le consommateur, c’est l’acte de se renseigner, et d’acheter un produit souvent plus onéreux pour soutenir l’initiative. Pour le producteur, et l’enseigne derrière, c’est le fait de produire des articles de mode dans le respect des valeurs du développement durable. Il existe différentes manières de faire de la mode responsable :

–         De façon éthique : en s’assurant que les conditions de travail des producteurs respectent les droits de l’homme

–         De façon équitable : pour réduire les inégalités entre pays producteurs et pays consommateurs. En plus d’être éthique, l’enseigne s’assure que les travailleurs disposent d’un salaire décent.

–         De façon écologique : en utilisant des matières premières écologiques (qui n’ont pas d’incidences sur notre environnement) ou biologiques (issues de l’agriculture biologique). Cela peut aussi passer par un processus de fabrication respectueux de l’environnement, comme la réduction de la consommation d’eau.

–         Par le recyclage, la réutilisation ou la revalorisation de déchets, ce qui permet de lutter contre l’épuisement des ressources naturelles.

–         Par la transparence du processus de fabrication. Plus la chaîne de distribution et les matières premières sont locales, et plus il est simple de tracer le produit
Plusieurs initiatives ont été mises en place pour aider les marques ainsi que les consommateurs dans leur transition vers la mode responsable. Les pays anglophones sont les plus avancés sur le sujet, notamment au niveau des nouvelles technologies de l’industrie textile. Dernièrement, la firme américaine Bolt Threads, qui a développé une technologie capable de répliquer le fil d’araignée, s’est alliée avec Stella McCartney, fervente supportrice de la mode responsable, pour sortir le 1er octobre prochain une robe haute couture entièrement réalisée en Bolt Microsilk™. Et bien que le retrait des Etats-Unis des Accords de Paris sur le climat ne présage rien de bon, plusieurs marques américaines ont pris le parti de s’engager vers un fonctionnement plus durable, comme GAP, Tommy Hilfiger, ou encore Nike, malgré des subventions amenées à se raréfier.

Les pays nordiques ne sont pas en reste, que ce soit l’Allemagne, la Suède, la Norvège, le Danemark ou les Pays-Bas. Les consommateurs y sont bien plus engagés que leurs voisins européens, et tendent à acheter plus de produits biologiques ou issus du commerce équitable, l’offre y est donc plus étoffée. En revanche, ils restent relativement discrets sur le sujet.

Témoignage du clivage entre Europe de l’Ouest et du Nord, l’édition française du salon Ethical Fashion Show, lancée en 2004 à Paris, a fermé ses portes en 2012, suite aux difficultés rencontrées par le secteur de la mode responsable dans l’hexagone. Il faut dire que la crise économique de 2007, qui a eu des répercussions sur plusieurs années, a propulsé la population française vers la « fast fashion ». En revanche, son édition allemande subsiste, preuve d’un engagement écologique fort ancré dans la culture allemande.

Malgré le succès du « Made in France » ces dernières années, le pays des droits de l’homme, qui se devrait pourtant d’être exemplaire en termes d’éthique, a encore du mal à susciter l’intérêt de ses consommateurs pour la mode responsable.

 

Consommation responsable : les français rechignent. Pourquoi ?

Les problèmes sont tant au niveau de l’offre que de la demande. Charlotte Dieutre, qui a lancé la collection Fashion Integrity by Galeries Lafayette, nous expliquait lors du Look Forward Fashion Tech Festival (vidéo de la conférence ci-dessous), la difficulté pour les grandes marques de tracer leur produit tout au long de la chaîne logistique. Pour les petites marques, dont la chaîne est réduite, et qui travaillent souvent plus localement, la tâche est plus aisée. Cependant, elles ont plus de mal à se faire connaître, et leur manque de notoriété les dessert. Pour les grandes marques, la chaîne est souvent tellement longue, qu’il leur est impossible de tracer les produits depuis leur origine. Or, s’il est délicat pour les marques d’assurer une transparence totale, tout l’acte d’achat d’un tel produit perd son sens. Il est alors impossible au consommateur de faire la différence entre « greenwashing » et engagement sincère. Pour pallier à ces difficultés, le co-branding pourrait permettre à de petites marques d’acquérir une certaine notoriété, et à de grandes marques, de raccourcir leur chaîne logistique, à l’image de la collection créée par Antik Batik pour Monoprix, à l’initiative de Creative Handicraft.

Le consommateur veut du beau avant de vouloir de l’éthique. Et actuellement, même si l’on souhaitait consommer responsable, le manque de choix ne nous y encourage pas, le prix non plus. Il s’agirait de bouleverser nos modes de consommation habituels, et de penser le vêtement comme un investissement dans le temps. Il serait alors intéressant de considérer le « Cost per wear » au moment de la décision d’achat, c’est-à-dire le prix de revient d’un vêtement par rapport au nombre de fois porté. En effet, un jean de mauvaise qualité acheté 20€ et porté 5 fois, vous coûtera toujours plus cher qu’un jean de bonne qualité acheté 100€ et porté une trentaine de fois.

 

Faire changer les mentalités, oui, mais comment ?

Tout d’abord, étant donné un enthousiasme modéré de la part des français pour la mode responsable, on peut se demander s’il s’agit réellement d’une attente des consommateurs. Malheureusement, le manque de communication à ce sujet et d’engagement de la part de la société ne participe pas à démocratiser ce mode de consommation. Pourtant, plus la mode responsable aura une image « glamour » et tendance, et plus les consommateurs souhaiteront s’en procurer.

Les acteurs du secteur peuvent s’armer des mêmes outils que les grands distributeurs : les réseaux sociaux. A l’heure actuelle, une allergie causée par des composants chimiques ou une mauvaise qualité deviendra rapidement viral. Il devient quasiment impossible pour les entreprises de se dédouaner de leur responsabilité. C’est l’occasion pour les acteurs de la mode responsable de se poser comme alternative tout en améliorant leur visibilité, en faisant appel à des influenceurs par exemple.

Inciter à une consommation responsable passe aussi par le fait d’offrir plus d’alternatives, et encourager les initiatives qui vont dans ce sens, notamment financièrement, afin de rendre la mode responsable plus abordable. De même, mettre en place des labels permet aux consommateurs de s’assurer qu’il n’est pas victime d’un simple greenwashing.

 

L’œil de Look Forward :

Pour en revenir aux hippies, la mode responsable souffre encore d’une image « bobo », qui l’enferme dans un mode de consommation réservé à une minorité « utopiste ». En France particulièrement, il y a une vraie nécessité de moderniser cette image, et d’innover dans le domaine textile, afin de donner une place de choix à la mode responsable à prix démocratiques. Cependant, bonne nouvelle, la « green revolution » est au coin de la rue, pourvu qu’elle envahisse l’hexagone!


 

 

 

 

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