Trois questions à… Jeanne Vicerial

Design et innovation, voilà deux concepts qui viennent s’inviter dans le monde de la mode d’aujourd’hui. Jeanne Vicerial, doctorante SACRe (Paris Sciences & Lettres (PSL) research university Paris) qui planche sur une thèse de design appliquée en recherche et innovation, au sein de l’EnsAD Lab, se fait l’écho de ce mariage. La jeune femme de 26 ans, cheveux noirs et tenue graphique sur le dos, donne également des cours à l’école de Condé et a co-fondé un studio de création, « Clinique Vestimentaire ». Ce qui l’intéresse ? La mode en tant qu’objet anatomique, en même temps que vecteur du développement durable, devenu indispensable au secteur textile.

 

Comment intégrez-vous l’idée de développement durable dans votre conception ?

Pour la nouvelle génération, dont je fais partie, le développement durable n’est même pas une question : c’est évident. Dans les pièces que je créé au sein studio fondé avec ma collaboratrice Jennifer Chambaret, « Clinique Vestimentaire », nous créons en fonction de l’homme et de son anatomie, nous mettons en regard l’optimisation de la matière et des chutes. J’ai été inspirée par la Néerlandaise Li Edelkoort [célèbre prévisionniste de mode qui a signé en 2015 une tribune dans Libération, évoquant la mort de la mode actuelle, ndlr] : elle parle d’un système tombé malade, arrivé en bout de course.

 

Jeanne Vicerial développe sa Clinique Vestimentaire au sein de l’ENSad Lab

 

Quel lien entre le sur-mesure et l’économie circulaire ?

Lors de mes études aux Arts Déco, on m’a demandé de faire une collection de diplôme et à cette occasion, je me suis dit que ça serait super intéressant de faire une collection sur-mesure. Je me suis rappelé mes études de costumes, qui consiste à réaliser des pièces uniques, notamment grâce à la présence d’un mannequin. Il faut prendre en compte l’individu. Ce que j’ai fait en m’intéressant plus particulièrement à l’anatomie humaine. J’ai donc réalisé un modèle musculaire textile en reprenant le modèle musculaire textile, d’où le nom de mon studio « Clinique Vestimentaire ». Cette robe est ainsi faite d’un seul et même fil de 150 km, qui reprend la forme de l’épine dorsale, et qui n’engage aucune chute. Cette pièce coutait par ailleurs très peu en matière, mais en temps, j’y passais deux mois ! Pour ce faire, j’allais récupérer des bobines des entreprises ou maison de mode, issues de l’industrie du cuir et à base de nylon. Comme c’est une fabrication à la maille, je ne produis aucun déchet. Pour cette collection de diplôme, je suis devenue ma propre machine, car je cousais tout à la main avec une aiguille de chirurgien. D’où l’idée d’automatiser.

 

La mode est devenue multidisciplinaire. Comment envisagez-vous le travail avec des secteurs comme la robotique ?

Quand j’ai voulu automatiser mon concept, j’ai pensé que je pourrais fabriquer du sur-mesure, mais industriel. Pour ces créations, sorte de radiographies portatives, j’ai passé un partenariat avec l’Ecole des Mines-ParisTech, en mécatronique [discipline alliant mécanique, électronique et informatique, ndlr] et robotique. Une trentaine d’étudiants ingénieurs m’aident à construire un prototype assez basique mais très précis qui me permet de faire en une heure ce que je faisais en trois jours à l’épingle. Le résultat, c’est zéro chute à l’échelle industrielle, même si c’est plus une conséquence qu’un principe de départ. Au début le dialogue avec ces autres disciplines n’était pas évident car il fallait que l’on apprenne à parler le même langage. Ma seule requête état que je puisse reprendre la main à n’importe quel moment sur la machine.

 

A quelles autres techniques avez-vous recours pour proposer des solutions alternatives en faveur de la slow fashion ?

Dans le studio, nous réalisons du prêt-à-porter, mais sur-mesure. Nous avons en effet développé des systèmes de taille adaptable, qui vont du 36 au 42, grâce à un système de plis et de contre-plis, finalement assez classique. Le vêtement s’adapte ainsi au fil du temps. Alors en termes de durée de vie, il s’inscrit dans une conception à l’opposé à la mode jetable. Pour nous, ce n’est pas grave qu’une pièce coûte un peu plus cher, tant qu’elle peut suivre longtemps la personne.

 

 

 

 

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