La maison connectée : opportunités techniques et questionnements éthiques

Il est 7h00. Les volets s’ouvrent doucement, laissant la lumière pénétrer petit à petit dans la chambre à coucher. Le radio-réveil s’allume pendant que dans la cuisine, le café commence à couler. Au sortir de la douche, la serviette est tiède, réchauffée par le chauffage qui s’est mis en marche un peu avant le réveil. Le grille-pain fait sauter les tartines ; heureusement, le frigo intelligent a pensé à recommander du beurre. La porte du garage s’ouvre : c’est une belle journée qui commence.

 

Le rêve ? Au contraire, ce scénario ressemble de plus en plus à la réalité. Via la domotique, les entreprises cherchent à apporter des solutions techniques qui répondent aux besoins de confort, de communication et de sécurité des utilisateurs. Si les processus d’automatisation existent depuis un certain moment et n’étonnent plus personne, le marché connait aujourd’hui un élan certain : d’après le cabinet Berg Insight, l’Europe comptera 45 millions de maisons connectées en 2020. C’est quatre fois plus qu’en 2015.

La domotique existe pourtant depuis bien longtemps. Volets électroniques, systèmes de sécurité, portails automatiques… L’ère que nous vivons aujourd’hui est celle de la nouvelle domotique. Au-delà de la seule automatisation de processus existants, la domotique 2.0 permet aussi d’inventer de nouvelles fonctions, de nouvelles possibilités, de réinventer le rapport à la maison. Sur ce « nouveau » marché, les acteurs historiques comme Somfy et Legrand sont en perte de vitesse face aux les géants du numérique. Et pour cause : les objets connectés dans la maison sont encore vus comme des gadgets au fonctionnement un peu obscur, anxiogènes car longs à configurer. En cela, les GAFA sont mieux placés pour pénétrer le quotidien des usagers qui les connaissent déjà et transformer les usages.

 

Défiance et sécurité

Autre obstacle à la démocratisation complète de ces outils, les problèmes de sécurité que leur utilisation pourrait poser. De nombreuses alertes ont été lancées en ce sens, par la CNIL notamment, mais aussi par Ondřej Vlček, vice-président exécutif chez Avast. Celui-ci qualifie les appareils connectés de « cauchemar total en matière de sécurité ». Ceux-ci constituent en effet une porte d’entrée sans égale pour les pirates, cambrioleurs et autres esprits malveillants. Un son de cloche que l’on retrouve depuis 2013 déjà chez Dan Crowler, chercheur en sécurité chez Trustwave. D’après lui, les informations envoyées lorsqu’on contrôle les objets de notre maison à distance (l’avantage premier de la domotique) transitent par des serveurs et connexions qui ne sont pas toujours sécurisés, en tous cas pas autant qu’ils le devraient. Ainsi, on peut imaginer que les objets connectés incarnent une opportunité pour des actes de malveillance.

Par ailleurs, ces objets représentent une banque de données très importante sur les habitudes intimes des consommateurs. La CNIL met par exemple les français en garde vis-à-vis des enceintes intelligentes, dans un document paru sur son site le 5 décembre 2017. Dans celui-ci, elle rappelle que ces assistants vocaux enregistrent des données et sont, à la faveur d’une veille permanente, susceptibles d’enregistrer des conversations. De manière plus large, accueillir ces objets dans notre quotidien et au sein de nos foyers serait finalement « une monétisation de l’intime ». Si l’interrogation est valide, les mêmes enjeux se manifestent avec l’utilisation et l’acquisition d’autres objets du quotidien — mais c’est peut-être la première fois avec la domotique que les proportions sont si grandes et la pénétration de l’électronique si globale.

Google Home, assistant vocal

Systèmes englobants, plateformes loyales

Le prochain enjeu du marché sera celui du lien établi entre tous ces objets. Celui qui arrivera le mieux à connecter ensemble tous les objets et à créer de véritables systèmes sera celui qui s’établira le mieux. Sur l’axe de la sécurité par exemple, Norton a sorti « Norton core », un routeur wi-fi qui garantit la sécurité des multiples objets connectés au sein d’une maison. Mais le projet d’une expérience domotique fluide, dans lequel toute la maison anticipe et répond de manière fluide à tous les besoins des consommateurs est encore un peu loin. Cela est en partie dû au fait que les différentes touches d’automatisation dans une maison viennent de systèmes trop différents. D’après une étude Xerfi, ces distinctions sont vouées à disparaître — ainsi que les opérateurs de télécommunications. Ceux-ci n’arriveront pas à intégrer à leurs systèmes assez de partenaires domotiques ni à centraliser les nouveaux objets connectés, et ceux sont les leaders de ce marché là (encore les GAFA) qui vampiriseront leur offre. Une transformation déjà en marche, en témoigne la box de Bouygues Télécom co-développée avec Google, utilisation le système d’exploitation Android TV.

A mesure que les objets connectés envahissent les habitations, il est important de comprendre les enjeux commerciaux qui se cachent derrière le service qu’ils fournissent. En effet, le danger d’une automatisation accrue de l’expérience du foyer se situe surtout dans le brouillage des règles de concurrence. D’une part, parce que plus la domotique s’organisera en « système » dans la maison, plus les achats futurs des consommateurs seront guidés (comme un iPhone, un iPod et un iMac par exemple fonctionnent en système —décourageant l’utilisateur d’en sortir car trop complexe). D’autre part, la question de la loyauté des plateformes va devenir de plus en plus centrale dans nos habitations. Si votre frigo devient si intelligent qu’il sait commander votre beurre quand vos provisions s’amenuisent, sur quel site le fera-t-il ? Quelle marque choisira-t-il ? Sera-t-il guidé par vos préférences, vos valeurs et vos habitudes de consommation, par le meilleur prix ou les meilleures critiques sur internet, ou bien par l’argent que telle ou telle marque de beurre aura versé à son concepteur ? Les applications de cette problématique sont aussi diverses que les objets connectés (machines à laver, à café…).

 

L’œil de Look Forward

La question de la domotique ne se limite pas seulement à ce qui sera possible ou pas — la technique a les capacités d’évoluer encore énormément. Cela pose des questions aux acteurs de l’industrie de la maison en terme de design et de production, et d’alliances à nouer avec les acteurs du numérique. Mais cela pose surtout des questions aux consommateurs et aux pouvoirs publics concernant notre relation au numérique, à nos données, à l’intimité, la sécurité, le commerce…

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