Neutralité du genre: comment les marques s’adaptent?

Dernièrement, les tendances typiquement masculines ont été reprises par les femmes, et à l’inverse les hommes sont de plus en plus ciblés par des gammes jusqu’ici développées uniquement pour la gente féminine. Cent ans après les premières femmes en pantalon, nous avons vu apparaître les premiers hommes en jupe (sans compter nos amis écossais en kilt…). Les mouvements féministes, transgenres, et genre neutre ont facilité l’arrivée de nouvelles tendances, et ont brisé les codes traditionnellement associés au genre.

 

Une fille au masculin

 

Comment les femmes se sont emparées des tendances masculines ?

 

« Toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la Préfecture de police pour en obtenir l’autorisation ». Cette loi du 17 novembre 1800 « visait avant tout à limiter l’accès des femmes à certaines fonctions ou métiers en les empêchant de se parer à l’image des hommes » (Copyright : Sénat.fr). Et bien qu’elle soit en contradiction totale avec l’article 1er de la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme, il aura fallu plus de deux siècles avant qu’elle soit finalement abrogée, le 31 janvier 2013.

Pourtant, les femmes n’ont pas attendu jusque-là pour s’émanciper vestimentairement. Mises au travail pour les besoins de la première guerre mondiale, elles ont rapidement adopté des codes plus masculins. Dans les années 1920, on parle même de la tendance « Garçonne », où la silhouette à la mode est définitivement androgyne, et les habits doivent avant tout être pratiques et confortables. Exit les corsets et robes imposantes, les femmes portent les cheveux courts, des nœuds papillons, certaines se font même tatouer. C’est d’ailleurs dans les années 20 que l’on voit apparaître la « jupe pantalon », qui fait son grand retour cette année. Le pantalon pour femme s’est banalisé dans les années 1960, notamment grâce à des couturiers comme Saint Laurent qui ont su retranscrire les bouleversements sociétaux de leur époque dans leurs créations. Et puisque nous sommes dans un monde régit principalement par les hommes, c’est par mimétisme que les femmes s’approprient le « pouvoir masculin ».

 

Girls to boys
 

Du smoking, au sweatshirt, en passant par le bomber, la casquette, le jeans ou plus récemment les sneakers, les femmes ont emprunté beaucoup de pièces de la garde-robe masculine. Le look féminin-masculin est d’ailleurs un classique que toute femme se doit d’avoir dans sa penderie. La mode et la beauté font partie de ces quelques branches dans lesquelles les hommes sont défavorisés par rapport aux femmes. À l’heure actuelle, il est généralement plus accepté qu’une femme ait un style masculin que l’inverse, en prouve le nombre de pièces étiquetées sous le nom « boyfriend ».

 

tomboy girls
 

La polémique a débuté par la mode enfant, suite à la dénonciation du clivage créé entre filles et garçons par l’industrie de la mode. En règle générale, les petites filles trouveront principalement des vêtements de couleur rose, avec des imprimés floraux ou arborant des princesses. Quant aux petits garçons, ils auront le choix entre du bleu ou du gris, des voitures ou des superhéros. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont conditionnés par la mode grand public. C’est en partant de ce constat que certaines enseignes ont pris le parti de commercialiser des collections enfants unisexes. L’initiative a ensuite été reprise pour le lancement de collections adultes, dont certaines marques en font d’ailleurs leur crédo, comme Marimacho et Rad Hourani. Cependant, les maisons de haute couture ont été les premières à s’emparer de la tendance unisexe, comme Gucci et Givenchy, depuis plusieurs années déjà.

 

gucci & givenchy men
 

Un garçon au féminin

 

L’industrie cosmétique s’empare des hommes

 

Il fut un temps où femmes comme hommes se maquillaient sans aucune discrimination. L’histoire prouve que les cosmétiques ont eu leur moment de gloire universellement : des égyptiens avec leur khôl, aux chinois et japonais utilisant de la poudre de riz, en passant par les tribus africaines se différenciant par leur maquillage, ou encore l’aristocratie européenne se parant de perruques, maquillage et parfum du 14e au 19e siècle. On pourrait penser que notre société actuelle repose sur les apparences, et est régit par le culte de la beauté. En vérité, le maquillage n’a fait que voyager à travers les époques, et la beauté a toujours constitué un facteur important de la vie en société, que ce soit maintenant ou il y a dix mille ans. D’autant plus dérangeant, certaines études ont démontré que les personnes au physique agréable sont embauchées plus facilement, obtiennent des promotions plus rapidement, et sont mieux payées que leurs collègues moins avantagés. (Source : BusinessInsider.fr). Pas étonnant que les hommes veulent leur part du gâteau.
Les cosmétiques pour homme ne sont que la renaissance d’une tendance, encouragée par les mouvements féministes, masculinistes, et de neutralité du genre. La plupart des marques de cosmétiques disposaient déjà d’une gamme homme, jusqu’ici limitée aux parfums, savons et après-rasages. Et si le fait de prendre soin de soi pour un homme reste connoté socialement, les mouvements relatifs aux genres ont permis un regard nouveau. L’industrie de la beauté n’a pas tardé à en prendre compte et à adapter ses différentes stratégies en fonction de sa nouvelle audience. Parmi tous les produits cosmétiques, ce sont les soins de la peau qui enregistrent le plus de ventes.
Le fait est qu’on ne vend à un homme de la même façon que l’on vend à une femme. Pour contrer l’image émasculante des cosmétiques, il a fallu revoir la formulation : on parle donc de « grooming products » (anglais pour produits de toilette), plutôt que de « produits de beauté » ou « cosmétiques ». À l’origine les « grooming products » se référaient aux outils et produits utilisés pour le rasage de la barbe. La gamme de produits s’est élargie avec le temps, et les hommes peuvent maintenant se procurer des gommages, nettoyants pour le visage, ou encore des roll-on pour les yeux. S’accrocher au terme « grooming » est une façon de contre-balancer le côté féminin des cosmétiques en y ajoutant un peu de testostérone… Oui, ils ont de la barbe, oui, ils en prennent soin, parce qu’ils ne sont pas que des hommes, ce sont des hommes raffinés. Le « grooming » a un côté gentleman, dandy, et un peu hipster, qui ferait presque croire que la première préoccupation des hommes lorsqu’il achète des cosmétiques, n’est pas la beauté. Pour les séduire, les marques doivent s’assurer qu’ils ne fassent l’objet d’aucune comparaison avec la gente féminine. Et des marques comme l’Oréal, qui ont mis les femmes au cœur de leur stratégie pendant des décennies, ont maintenant du mal à se défaire de leur image auprès des hommes. (Source : Statista).

 

cosmetics for men
 

Comme nous pouvons le constater sur la photo ci-dessus, les emballages des produits de beauté masculins sont pour la plupart raffinés, anguleux et monochromes. Pour se distinguer de leurs concurrents, les marques ont donné à leurs produits une apparence sportive, vintage, pharmaceutique ou encore luxueuse.
Anthony, Lab Series et Baxter ont opté pour un packaging de type pharmaceutique, pour suggérer le recours aux produits dans un but plus médical qu’esthétique. Armani et Dior ont développé des packaging à l’allure luxueuse : entièrement noir pour le premier et avec une dominante blanche pour le second, l’objectif étant de leur donner une image sobre et prestigieuse.
Clinique, Biotherm et Clarins ont quant à eux parié sur un look sportif. Dans une publicité, Clinique compare l’expérience de la conduite d’une voiture de sport à celle du rasage, en concluant sur leur slogan « there is a science to looking good » (en français « il est existe une science pour être beau »). Clarins a choisi l’athlète olympique Camille Lacour, champion du monde de natation en 2011 et en 2013, comme égérie pour sa gamme masculine. L’accent est mis sur la force et le dépassement de soi : la marque préfère se concentrer sur la performance, la « puissance masculine », plutôt que sur la beauté.
Des marques telles que Kiehl’s, Jack Black et Marvis cultive un style rétro. Leur story-telling rappelle aux hommes que l’apogée de l’élégance masculine s’est étalée du début au milieu du 20ème siècle, lorsque ces messieurs s’imposaient une routine de soins assez stricte. La décoration des boutiques rappelle celle des apothicaires, les packaging ont un petit côté vintage assumé qui suggére un style de vie proche du dandy britannique. Gomina, dents ultra blanches, typographie de machine à écrire : cultiver la nostalgie a toujours fait vendre, surtout lorsque ce retour dans le temps met en avant une époque où le soin apporté à sa toilette est synonyme de bonne éducation et de rang social élevé.
Dans l’ensemble, quelle que soit la stratégie, les marques soulignent avec succès le lien entre figures typiquement masculines et cosmétiques dans le but de rassurer les hommes dans leur virilité.

 

Les hommes ont leur propre maquillage

 

Bien qu’il soit chose commune pour les hommes travaillant dans l’audiovisuel, la mode ou la beauté, le maquillage masculin reste encore très stigmatisé dans les autres sphères de la société. Les hommes ont une peau plus épaisse, des poils plus sombres et drus, et par conséquent leurs besoins en termes de maquillage sont différents de ceux des femmes. Au cours des dernières années, Asos, Dr Jart et Jean-Paul Gaultier, pour n’en citer que quelques-uns, ont lancé des gammes de maquillage dédiées aux hommes. Mais les hommes ne sont pas seulement la cible de cette révolution, ils en sont aussi les acteurs : ils sont de plus en plus présents dans la communication des marques, tout comme en magasin. Dernièrement, Cover girl & Maybeline ont eu recours à des hommes comme égéries, et nous constatons une augmentation des vendeurs hommes dans des boutiques tels que Kiko et Sephora. De même, les packaging restent relativement épurés, discrets et monochromes, en témoigne l’image ci-dessous.

 

men cosmetic collection by Jean-paul Gaultier
 

Quels sont les pays qui mènent la danse ?

 

De plus en plus d’hommes accordent de l’importance à leur apparence physique. Plus qu’être beau, il s’agit surtout de se sentir plus attrayant, confiant et brillant. Et comme nous le savons, avoir confiance en soi inspire confiance aux autres. C’est au Brésil, en Corée du Sud et aux États-Unis que la gente masculine consomme le plus de cosmétiques. Aux États-Unis, la corrélation entre apparences et réussite est profondément ancrée, comme en témoigne l’utilisation du terme «B.O.», acronyme pour « Body Odor » (odeur corporel en français). Dans son ouvrage intitulé «American Dream», l’auteure Guillemette Faure explique que l’expression est apparue pour la première fois an 1919, dans une publicité de la marque de déodorant Odo-Ro-No (Odor? Oh no!). Le recours a un acronyme en dit long sur la tabou entourant l’odeur corporel aux États-Unis. La publicité suggérait même que la honte que provoquait les odeurs corporelles était un handicap social, qui pouvait se traduire par un obstacle au succès professionnel pour les hommes, lorsqu’il mettait en péril la vie conjugale pour les femmes. Résultat de cette particularité culturelle, aujourd’hui, un quart des maisons américaines disposent d’au moins 3 salles de bains.

 

L’OEIL DE LOOK FORWARD

 

Il est difficile de dire si l’industrie de la mode continuera à séparer les collections par genres. Hommes comme femmes devraient pouvoir s’épanouir dans leur style vestimentaire, sans aucune pression sociale. Diviser les rayons en fonction du genre implique l’idée que se rendre dans celui du sexe opposé est inapproprié. Les marques pourraient par exemple créer des pièces neutres, afin que les consommateurs choisissent en fonction de leurs goûts, sans être influencés. L’usage veut que « les hommes seront toujours des hommes », et « les femmes resteront toujours des femmes ». Pour sûr ?

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